Et si on changeait nos représentations du vieillissement par les arts du récit ?
Laboratoire des imaginaires #1
Et si on changeait nos représentations du vieillissement par les arts du récit ?
Cela faisait longtemps que nous en rêvions chez Esopa : expérimenter, avec des conteurs, un Laboratoire des imaginaires pour mettre en récits de futurs désirables, mais aussi créer des espaces de dialogue et de radicalité.
Le 2 mars dernier, nous avons enfin relevé le défi d’impulser ce travail sur les imaginaires à l’invitation du festival de conte Mix Up porté par nos complices conteurs de la Compagnie du Cercle. Pour ce premier Labo, nous sommes appuyées sur nos dernières immersions dans le cadre de la recherche-action « Vieillir Vivant» que nous co-portons avec nos amies de Carton Plein.
Nous revenons dans cet article sur cette première expérience qui nous a marquées et disons-le, revigorées !
Se lancer dans la bataille des imaginaires
Pourquoi travailler sur les imaginaires, notamment en temps de crise (démocratique, écologique…) ? Comment les imaginaires favorisent-ils ou limitent-ils l’engagement ? Quels sont les imaginaires à l’œuvre aujourd’hui dans la politique et les débats de société ?
La crise a accéléré la mise en lumière des failles de notre système politique et de nos équilibres sociétaux. On assiste au délitement d’un monde, qui accélère l’émergence et le besoin d’alternatives fortes. Et pourtant nos futurs semblent verrouillés.
Les imaginaires sont des constructions sociales qui définissent ce qui nous semble être des évidences et des certitudes. Ils façonnent notre vision collective du monde, nos représentations, les histoires que l’on se raconte et les images qui se forment à l’évocation de tel mot ou symbole. Ils façonnent ce qui nous semble collectivement être des évidences, « ce qui est comme ça et ne peut être autrement ». Finalement, ils déterminent aussi nos actions. Travailler sur les imaginaires c’est donc questionner ces représentations ; tenter de les renouveler, c’est travailler à en partager d’autres plus souhaitables. En somme, il s’agit de travailler les consciences pour soutenir des réalisations concrètes.
Dans cette “bataille des imaginaires”, l’art et la culture peuvent être une arme puissante. En effet, les imaginaires s’incarnent dans des formes ou des objets, physiques ou abstraits (cela peut être des œuvres d’art, des récits, des symboles, des rituels, des gestes, etc…). Le conte est une forme qui permet d’incarner et partager de nouvelles représentations (c’est une « structure transmissible » nous dit Abbi Patrix).
Précisément, la question du vieillissement est traversée par de nombreux imaginaires consuméristes que l’on souhaite renverser, à commencer par le tabou de la mort, la marchandisation de la vieillesse ou encore la mise à l’écart des vieux jugés «inutiles».
La rencontre entre « Vieillir Vivant » et les arts du récit
Esopa productions est membre du programme « Vieillir Vivant », Labo de recherche-création impulsée par l’association Carton Plein. Nous menons, depuis 2020, une recherche-action pluridisciplinaire sur les conditions du bien vieillir sur différents territoires. Nos méthodes sont issues des sciences sociales, du design, de l’urbanisme culturel et des arts vivants.
Nous cherchons à donner une voix aux personnes directement concernées par les enjeux du vieillissement (à l’endroit de leur métier, de leur rôle familial, ou de leur réalité vécue) et à renouveler l’imaginaire de l’âge. L’objectif est d’inventer des organisations sociales plus douces, plus justes et plus respectueuses de l’humain.
Cette année, Vieillir Vivant s’est donc invité chez Mix Up, un festival de conte créé par notre compagnon de longue date Abbi Patrix, directeur artistique de la Compagnie du Cercle pour que des conteurs nous aident à mobiliser les arts du récit au service de notre recherche-action.
C’est le point de départ d’une aventure commune qui s’inscrira, nous l’espérons, pendant toute la durée du programme Vieillir Vivant.
Le rôle du Labo : produire des histoires pour déplacer les imaginaires
Pour ce premier Labo, nous avons demandé à deux conteurs, Abbi Patrix et Julien Tauber, de nous entraîner à inventer des histoires à partir de la matière collectée pendant notre enquête… Il s’agissait de valoriser des récits glanés en immersion permettant de réfléchir à “comment mieux vieillir sur nos territoires. », de faire de la prospective créative (à quoi pourrait ressembler demain ? Quels futurs désirables ?) et d’imaginer des récits permettant de renouveler les imaginaires et transformer la société.
La matinée fut consacrée au partage d’histoires et anecdotes vécues ou rapportées. En puisant dans nos souvenirs et notre vécu, nous avons réunis des fragments d’histoires, des situations, des images, des personnages qui se sont imprimés dans nos têtes. Au fil des échanges, nous glanions ces fragments que nous notions sur des affichettes.
Durant l’après-midi, nous nous sommes entraînés à raconter des histoires après avoir écouté des contes et analysé leur structure.
La journée s’est clôturée par une restitution publique durant laquelle nous avons raconté nos histoires [captation audio en fin d’article] accompagnés par une performance en live de l’artiste plasticienne Cristina Hoffman.
Vous pouvez retrouver la captation audio ou vidéo de notre restitution. Nous vous remercions pour votre écoute bienveillante !
La puissance du conte au service des transformations sociales
Nous terminons cette journée avec une triple intuition. Il nous semble que la discipline du conte peut :
- Nous muscler sur la façon de “collecter des récits” lors des immersions
Nous revendiquons, dans nos projets, des temps pour faire de l’immersion, c’est à dire aller passer du temps sur un territoire, dans une structure, pour comprendre la réalité du terrain. Nous ouvrons grand nos oreilles pour écouter les “petites musiques” du quotidien et recueillir des témoignages, confidences… Dans nos enquêtes, il n’est pas toujours évident de recueillir la “juste” matière. - L’expérience du conteur-collecteur est précieuse pour nous permettre de partager, de façon plus sensible, le fruit de nos explorations de terrain.
La mobilisation des arts du récits et l’oralité était pour nous un prolongement du travail de mise en récit que nous défendons dans nos pratiques (c’est-à-dire raconter les processus à l’œuvre dans les projets pour en rendre compte aux parties-prenantes de la démarche). Les approches sensibles (par l’écriture, la captation sonore, la bande dessinée) sont alors utiles pour partager une démarche, l’analyser, voir évaluer sa qualité.
- Nous permettre de donner à entendre des imaginaires alternatifs, leviers de transformation sociale
Ce premier Labo nous a permis de préciser, avec Abbi Patrix, en quoi le conte pouvait être un puissant allié des dynamiques de transformation sociale :
Finalement, pour Abbi Patrix, le lien entre Vieillir Vivant, le conte et le renouvellement des imaginaires est évident :
Arrêter de « parler de » et « raconter »
Cette expérience de l’oralité et du récit nous a amené à faire un sérieux pas de côté dans nos pratiques professionnelles. Engagés dans des programmes de recherche-action pluridisciplinaires, nous – designer, ingénieur culturel, sociologue ou documentaliste – sommes habitués à parler de notre sujet autant que d’expliquer nos méthodes et modalités d’action. Cette fois-ci, nous sommes passé.es de l’énonciation à la pratique. Nous avons opéré un réel décalage : celui d’arrêter de « parler de» ou «écrire sur» mais bien raconter la vieillesse!
Nous avons hâte de nous y remettre ! Nous retrouverons Abbi Patrix pour une nouvelle journée de formation, à destination de toute la joyeuse équipe de Vieillir Vivant, lors de la prochaine Inter VV (journées interterritoriales du Labo de recherche-création Vieillir Vivant) le 6 mai 2021.
Structure partenaire

MPAA La Canopée Paris
Paris Les Halles
Complices

La compagnie du Cercle
www.compagnieducercle.fr
Dirigée par Abbi Patrix
